Zoom sur un chercheur: À la découverte du Dr Fousseini TRAORE, Research Fellow à IFPRI Dakar

ZOOM SUR UN CHERCHEUR: À LA DéCOUVERTE DU DR FOUSSEINI TRAORE, RESEARCH FELLOW à IFPRI DAKAR

by IFPRI | 9 May 2019

Quel est votre parcours universitaire et professionel ? 

J’ai un parcours classique que certains qualifieraient toutefois de non linéaire. Après avoir commencé à étudier les sciences de l’ingénieur au Lycée, j’ai bifurqué et opté pour l’économie avant la fin de mes études secondaires.L’économie représentait pour moi un très bon compromis entre les sciences dites « dures » et les sciences sociales. On pourrait dire que c’est la plus « dure » des sciences sociales. Une fois le baccalauréat en mathématiques et techniques économiques en poche, j’ai passé un DEUG de sciences économiques à l’Université de Bamako avant de rejoindre le Centre d’Etudes et de Recherches sur le Développement International (CERDI) de Clermont Ferrand en France. Là, je me suis spécialisé en économie du développement. J’y ai obtenu successivement une licence, une maitrise et un DEA[1] d’analyse et politiques économiques. Ensuite j’ai fait un D.E.S.S[2] d’analyse de projets et une thèse en économie internationale. Le sujet de ma thèse portait sur l’impact des subventions agricoles accordées par les Etats-Unis et l’Union européenne à leurs producteurs sur le marché mondial du coton. A la fin de la thèse j’ai travaillé un an pour le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) avant de rejoindre l’Institut International de Recherche sur les Politiques Alimentaires (IFPRI) à Washington, DC. J’ai intégré  précisément la Division Marché Commerce et Institutions pour travailler sur le projet de renforcement de capacités des chercheurs africains (AGRODEP).Environ un an et demi plus tard j’ai été affecté au bureau de Dakar.

À quel moment vous êtes-vous dit, je veux faire de la recherche ?

J’étais d’abord attiré par l’enseignement. On dit souvent que la meilleure façon d’apprendre c’est d’enseigner. J’ai enseigné tout au long de ma thèse. Mais pour faire de l’enseignement à un haut niveau, la recherche est indispensable. Il faut lire et digérer la recherche avant de la transmettre. C’est cette logique qui m’a poussé à faire de la recherche, en n’étant pas juste un médiateur, mais également un acteur.

Quels sont vos domaines de recherche actuels ?

Actuellement je travaille aux frontières de l’économie agricole et du commerce international. En matière de commerce, avec mon équipe nous travaillons essentiellement sur deux sujets : l’amélioration de la qualité des données de commerce en Afrique avec le Comité Inter-États de Lutte contre la Sécheresse dans le Sahel (CILSS) et la Communauté Économique Des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) et les processus d’intégration régionale (élargissement de la CEDEAO, future Zone de libre-échange continentale africaine, tarifs extérieurs communs optimaux). La question des données est fondamentale. Mais il s’agit souvent d’un sujet quelque peu ingrat car il est difficile de publier dans une grande revue avec juste du travail sur les données. Nous estimons cependant ce travail capital car la qualité des résultats issus de nos modèles dépend des données utilisées. J’utilise souvent la métaphore culinaire. Un chef a beau être au top, avoir les meilleures recettes qui soient, si les ingrédients qu’il utilise sont avariés, le plat le sera également. Nous autres chercheurs sommes comme des chefs : nos modèles constituent nos recettes et nos données sont nos ingrédients. Vous aurez deviné aisément la suite.

Je travaille également sur la transmission des prix agricoles, notamment sur les questions d’asymétrie (les hausses de prix sont transmises davantage que les baisses) et les facteurs explicatifs d’un tel phénomène : coûts de transaction et structure non concurrentielle (oligopolistique) des marchés. Avec ma collègue Leysa Maty Sall nous avons testé et mis cela en évidence pour le marché du riz au Sénégal. Je fais ensuite le lien entre ce travail économétrique et la modélisation en équilibre général pour étudier l’efficacité de certaines mesures de politique économique comme les suspensions temporaires de taxes en cas de flambée des prix des produits alimentaires. Je viens de commencer un programme de recherche sur cette thématique avec mon collègue Sunday Odjo.

Pouvez-vous nous donner des exemples d’utilisation potentielle des résultats de vos recherches ?

Les résultats peuvent être utilisés par différents acteurs. Il peut s’agir des décideurs politiques nationaux qui peuvent se saisir de certains résultats comme la question des asymétries dans la transmission des prix afin d’ouvrir davantage à la concurrence les marchés à l’importation des produits alimentaires par exemple. Le travail que nous commençons sur les tarifs extérieurs communs optimaux, quoique très théorique à première vue[3], peut être utile aux organisations régionales qui doivent décider du niveau auquel ils doivent fixer ce tarif quand ils décident de former une union douanière (comme dans le cas de la CEDEAO). Il s’agit donc de travaux ayant des applications concrètes.

Quel est le quotidien d’un chercheur ?

Je pense que chaque chercheur a ses habitudes, cela dépend également des disciplines. Moi je réfléchis mieux en début de matinée et le soir. Je consacre donc le début de ma journée aux activités qui demandent une réflexion intense (trouver une idée originale, expliquer un résultat contre-intuitif, nettoyer soigneusement une base de données…). L’après-midi est davantage consacrée au travail de mise en forme et autres activités ne nécessitant pas le même niveau de concentration que celles du matin. Entre les deux il y a bien sûr les emails et autres sollicitations qui viennent perturber (certains diront parasiter) tout le processus. A ces activités quotidiennes il convient d’ajouter toute une série de missions (rencontres avec les décideurs et les bailleurs de fonds, participations à des conférences, colloques…) et, pour certains de mes collègues, des visites fréquentes sur le terrain pour la collecte de données.

Quelles sont, selon vous, les principales qualités que doit avoir un chercheur ?

Là également il y a plusieurs écoles. Je pense qu’il faut d’abord être passionné. La recherche, contrairement aux autres activités, ne pardonne pas quand on n’est pas passionné. Il faut accepter de passer des heures (nuit comprise) sur sa machine à tourner ses programmes afin de comprendre un résultat. On ne peut pas faire cela si on n’a pas un minimum de passion. Tous les grands chercheurs que je connais sont des passionnés. Ensuite il faut être curieux et ouvert à de nouvelles idées. C’est cela qui fera ouvrir de nouvelles pistes.  Il ne faut pas hésiter à s’ouvrir à de nouveaux champs et regarder ce que font les autres. Un de nos grands économistes anciens, Friedrich Hayek, disait que « nul n’est un grand économiste s’il n’est que cela. »  Il faut enfin être rigoureux et travailler sans relâche et ne jamais se dire que le talent et l’effort sont des substituts parfaits car ils ne le sont pas, comme l’a si bien souligné Avinash Dixit, un autre économiste célèbre.

A votre avis lequel de vos travaux a eu le plus d’influence sur les politiques ?

Cela peut vous paraitre curieux car il ne s’agit pas d’un article de recherche. À mon avis, je dirais que c’est le travail que nous avons commencé avec le CILSS depuis bientôt trois ans sur la mesure du commerce informel en Afrique de l’Ouest. Grace à notre travail de revue et de conseil au CILSS, nous sommes parvenus à convaincre les bailleurs de fonds qui soutenaient le projet initial de rester et la CEDEAO (avec les Instituts nationaux de statistique) d’intégrer les données recueillies par le CILSS dans les statistiques officielles de commerce en Afrique de l’Ouest. Cela va améliorer les données disponibles et contribuer au suivi de certains objectifs comme ceux de Malabo relatifs au triplement du commerce intra-africain de produits agricoles d’ici 2025.

Quel est selon vous le challenge majeur dans le domaine du commerce en Afrique ?

Il y a de nombreux défis qui se posent en Afrique : problèmes de mesure des flux, niveaux élevés de barrières (y compris non tarifaires) au commerce régional, faible niveau des infrastructures qui ne facilitent pas les transactions, faible intégration au commerce mondial, niveau de diversification insuffisant etc... Mais puisque vous me demandez un seul défi, je dirais que le plus important c’est celui de l’intégration régionale. Malgré les regroupements régionaux formels comme la CEDEAO, Le Marché Commun de l'Afrique Orientale et Australe (COMESA)… le niveau des barrières au commerce intra africain est très élevé. Nous avons les tarifs inter-régionaux les plus élevés au monde (en moyenne) et de nombreuses barrières non tarifaires et autres tracasseries qui limitent les échanges intracontinentaux. Cela est d’autant plus problématique que davantage d’intégration régionale constitue une stratégie optimale face aux risques de tensions commerciales entre les Etats-Unis et la Chine par exemple dont l’Afrique subira des effets collatéraux[4].Une meilleure intégration régionale est également nécessaire pour réduire d’éventuels effets négatifs (détournements de commerce[5]) que pourraient donner lieu certains accords comme les Accords de Partenariat Economique (APE) avec l’Union Européenne. Il faut donc à tout prix que la future zone de libre-échange continentale soit une réalité.

Votre dernier mot…

Je suis très heureux de travailler à l’IFPRI. L’Institut est très proche du monde universitaire dans son organisation des rapports humains, ce qui est très important pour moi. Il y a des gens de très grande qualité et on apprend les uns des autres tous les jours. Nous sommes à la bonne interface entre la recherche académique et les décideurs politiques. Le projet AGRODEP dont je m’occupe en partie est également une très bonne initiative de l’IFPRI qui m’a poussé à rejoindre l’Institut. C’est donc une institution que je recommanderais sans réserve.

Enfin j’apprécie le Sénégal qui m’a accueilli depuis maintenant six ans !

[1] On dit maintenant Master Recherche

[2] On Dit Master Professionel maintenant

[3] Cela renvoit a un débat ancien en économie sur la théorie dite du “second rang”

[4] Je travaille actuellement sur ce sujet avec mes collègues David Laborde et Antoine Bouet dans le cadre d’un chapitre du prochain rapport sur le commerce agricole en Afrique (Africa Agricultural Trade Monitor-AATM)

[5] Lorsque l’on crée une zone de libre-échange, il s’en suit des effets dits de “création de commerce” lorsque la réduction des tarifs permet d’importer davantage et moins cher, et des effets de “détournement de commerce” quand l’augmentation des échanges entre les pays formant l’accord se fait au détriment d’un pays tiers, plus compétitif mais ne bénéficiant pas de la réduction tarifaire. On doit cette distinction à l’économiste Canadien Jacob Viner.