Le coronavirus porte préjudice aux femmes scientifiques africaines

LE CORONAVIRUS PORTE PRéJUDICE AUX FEMMES SCIENTIFIQUES AFRICAINES

by IFPRI | 12 March 2020

De Katrin Glatzel

Ces derniers jours, ma messagerie électronique a été inondée de messages d’annulation d’événements et de voyages concernant aussi bien de grandes conférences que des rencontres plus restreintes à travers l’Afrique. J’ai moi aussi dû annuler certains de mes voyages prévus pour ce mois-ci. Cependant, j’ai été particulièrement déçue de l’annulation du Next Einstein Forum non seulement parce que cet évènement aurait été une bonne occasion de faire un peu d’auto-promotion pour notre projet en présentant le dernier rapport du Panel MaMo  mais surtout parce qu’il soutient une cause qui me tient particulièrement à cœur. Le travail du Forum du Prochain Einstein est fondamentalement « porté par notre conviction que le prochain Einstein sera africain ». Eh bien moi, je crois que le prochain Einstein sera une femme africaine.

La formation des jeunes scientifiques, et en particulier des femmes scientifiques, doit être une priorité absolue dans le monde entier. Des efforts de plus en plus visibles visant à faire entrer les filles dans les carrières STIM (sciences, technologies, ingénierie et mathématiques) sont à noter par exemple au Royaume-Uni, en Allemagne et aux États-Unis. Cette démarche est louable.

Néanmoins, un récent rapport de l’UNESCO montre que moins de 30% des chercheurs dans le monde sont des femmes.  Alors que les taux moyens pour l’Amérique du Nord, l’Europe de l’Ouest et l’Afrique au Sud du Sahara se situent autour de 30 %, les femmes ne représentent pas plus de 5 % des chercheurs dans certains pays, comme le Tchad. En outre, moins d’un tiers des étudiantes choisissent de s’inscrire dans des cursus universitaires comme les mathématiques et l’ingénierie. Enfin, les femmes travaillant dans les domaines des STIM comptabilisent moins de publications que leurs homologues masculins et, de surcroît, perçoivent souvent des salaires inférieurs.

Cela signifie que nous devons de toute urgence intensifier nos efforts pour renforcer et autonomiser cette nouvelle génération de jeunes scientifiques (africaines) qui, souvent, n’ont pas la possibilité de briller dans leur travail ou d’exceller dans leurs fonctions. Plus particulièrement dans le domaine de la recherche sur les systèmes alimentaires et la transformation en Afrique. En effet, l’agriculture reste l’un des secteurs majeurs source d’opportunités d’emploi pour les jeunes et ce secteur contribue énormément aux économies africaines.

L’association des femmes africaines dans la recherche et le développement agricoles (AWARD) a placé cet objectif au cœur de sa mission. Entre autres initiatives, l’association a créé une bourse One Planet Fellowship dans l’intention de former 630 scientifiques africains et européens aux méthodes incluant la perspective genre dans les programmes d’aide à l’adaptation aux changements climatiques proposés aux petits exploitants africains. Cette initiative offre ainsi aux Africains une opportunité inédite d’assumer des rôles de mentors.

De même, au quotidien, je suis entourée de jeunes économistes agricoles sénégalais talentueux et passionnés qui travaillent sans relâche pour générer de nouvelles données, de nouvelles idées et des innovations qui permettront aux décideurs politiques de faire des choix éclairés en matière de conception et de mise en œuvre des politiques nationales (par exemple, dans les domaines de l’irrigation, de la mécanisation agricole ou encore de la nutrition). Les universités et les institutions de recherche africaines regorgent également de femmes scientifiques leaders qui devraient bénéficier de programmes de soutien et de mentorat.

Comme je l’ai déjà évoqué dans un article précédent, les femmes doivent être plus activement impliquées dans la conception des solutions appliquées à l’agriculture et aux changements climatiques. Leurs préoccupations pourront ainsi être valablement prises en compte. Toutefois, si nous voulons véritablement transformer le système alimentaire africain de manière durable, nous devons, d’une part, concevoir davantage de politiques sensibles aux questions de genre et intégrer la dimension genre dans nos propres recherches, et d’autre part, encourager de manière proactive la nouvelle génération de femmes scientifiques leaders en Afrique. Nous voyons de jeunes femmes africaines s’affirmer et réussir dans le monde des affaires ; il doit en être de même dans les domaines de l’agriculture et des sciences connexes. Ce changement peut se faire à travers des programmes de mentorat et d’échanges entre les institutions de recherche ou en suscitant l’intérêt pour les carrières STIM dès l’école primaire.

Cet accompagnement est crucial car la prochaine génération de scientifiques aura la charge de déterminer les futurs programmes et priorités de recherche, d’innover et d’apporter de nouvelles solutions pour des systèmes alimentaires durables et, en fin de compte, d’orienter les politiques que nos gouvernements conçoivent et mettent en œuvre.

(This blog was originally published in English on the Malabo Montpellier Panel’s website here)