Article de Samuel Benin, Chercheur Senior et Directeur par interim du bureau Afrique a l'IFPRI
Les dirigeants africains ont respecté leur engagement en termes de responsabilisation mutuelle des actions et des résultats dans leurs efforts de transformation du secteur agricole africain.
Depuis la signature de la Déclaration de Malabo sur « la croissance et la transformation accélérées de l’agriculture pour une prospérité partagée et de meilleures conditions de vie » en 2014, ils ont publié deux rapports de revue biennale (RB) ainsi que les fiches de suivi de la transformation de l’agriculture en Afrique (AATS) qui permettent de suivre les progrès réalisés dans la mise en œuvre de la déclaration. Le rapport sur la RB inaugurale, rendu public lors du sommet de l’Union africaine (UA) en janvier 2018, a montré que 20 pays (soit 57 %) sur les 47 ayant présenté un rapport étaient sur la bonne voie pour atteindre les objectifs et les cibles de la déclaration de Malabo d’ici 2025. Le rapport sur la deuxième RB, diffusé lors du sommet de l’UA en février 2020, montre que seuls 4 pays (Ghana, Mali, Maroc et Rwanda, soit 8 %) sur les 49 ayant présenté un rapport, sont sur la bonne voie. Dans l’ensemble, l’Afrique n’était pas sur la bonne voie lors des deux RB, avec des scores de 3,60 et 4,63 (inférieurs aux références respectives de 3,94 et 6,66) dans les rapports de 2018 et 2020 (Figure 1). Ces résultats indiquent un ralentissement des progrès dans la mise en œuvre de la déclaration de Malabo.
Figure 1 : Critères de référence de la RB du PDDAA et résultats des rapports 2018 et 2020
Sources : Illustration de l’auteur basée sur les rapports de la RB (CUA 2018, 2020).
Notes : Sur l’axe horizontal, les années en bas correspondent aux années où les rapports de RB sont ou devraient être diffusés lors du sommet de l’UA, tandis que les années mentionnées en haut correspondent aux dernières années de mesure des données, à partir de l’année de référence 2015.
Le prochain rapport de RB devrait être rendu public lors du sommet de l’UA en 2022, en utilisant des données mesurées de 2015 à 2020 (voir Figure 1). Avec la pandémie mondiale de COVID-19 et le ralentissement économique qui en découle et qui devrait particulièrement affecter l’Afrique (voir par ex. Vos et al. 2020), de nombreux indicateurs de RB mesurés en 2020 pourraient afficher des changements négatifs importants. Les indicateurs suivants, en particulier, pourraient être plus affectés par le confinement dû à la COVID-19 : les indicateurs sur les actions politiques (ex. investissement, commerce et immigration) ; les indicateurs sur le comportement des acteurs du système agroalimentaire (ex. offre de main-d’œuvre et utilisation des intrants) ; les indicateurs sur les résultats intermédiaires (ex. production, prix et sécurité alimentaires). L’impact sur ces indicateurs sera transmis à d’autres résultats (par exemple, la pauvreté et la nutrition) dans les années à venir. Par conséquent, le ralentissement observé dans la RB 2020 pourrait s’aggraver et persister dans les RB 2024 et 2026.
De nombreuses analyses ont déjà montré que pour préserver les efforts de réalisation des buts et objectifs de la déclaration de Malabo, nous devons éviter une crise mondiale de la sécurité alimentaire. En général, les auteurs de ces analyses s’accordent à dire que les gouvernements ne devraient pas céder à la panique mais plutôt s’efforcer de maintenir les circuits commerciaux ouverts. Le fonctionnement des marchés régionaux et internationaux pourrait ainsi empêcher le retour des pénuries alimentaires et des hausses des prix similaires à celles constatées lors de la crise de 2007-2008 et de l’épidémie de virus Ebola qui a frappé la Guinée, le Liberia et la Sierra Leone en 2014. Alors que les gouvernements mettent en place des mesures de confinement pour ralentir la propagation du virus, ils doivent également envisager des programmes de protection sociale ainsi que d’autres politiques et instruments visant à préserver la sécurité alimentaire et l’accès aux soins de santé, en particulier pour les populations qui vivent au jour le jour. Ces mesures aideront les populations affectées à maintenir une vie saine pendant le confinement et à réintégrer le marché et le système agroalimentaire lorsque le virus sera maîtrisé.
Les pays africains peuvent réaliser de nombreuses actions pour rester concentrés sur les objectifs de Malabo et exprimer fidèlement dans la RB tous les progrès réalisés par les pays: les pays doivent déployer des efforts différenciés pour atteindre les jalons des différents indicateurs de la RB ; les pays et les partenaires au développement doivent travailler ensemble pour améliorer la disponibilité et la qualité des données qui permettront d’isoler et d’analyser les effets de la COVID-19 ; et l’UA doit renforcer la méthodologie de l’AATS pour les années affectées par des chocs tels que la pandémie de COVID-19.
Différents indicateurs contribuent chacun à leur manière au score global de la RB et cette contribution évolue dans le temps. Par conséquent, des efforts différents sont nécessaires à différents moments pour atteindre le jalon fixé pour les indicateurs afin de rester ou de se mettre sur la bonne voie (Benin 2020). Une comparaison entre les pays qui étaient sur la bonne voie et ceux ne l’étaient pas dans la RB 2018, par exemple, a permis de formuler des recommandations. Les pays sur la bonne voie devaient inverser la baisse relative aux indicateurs sur le processus du PDDAA (thème 1) et la responsabilisation mutuelle (thème 7) tout en maintenant leur rythme de progression en ce qui concerne les autres indicateurs. Pour ceux qui n’étaient pas sur la bonne voie dans la RB 2018, leur principal défi concerne les indicateurs sur l’élimination de la faim (thème 3), qu’ils doivent s’efforcer d’améliorer tout en maintenant leur rythme de progression dans les autres indicateurs afin de se remettre sur la bonne voie.
Le fait de disposer de données de haute qualité peut aider à isoler et à analyser de manière fiable les effets des chocs tels que la COVID-19 sur le processus et les résultats de la RB. Les efforts des pays dans la mise en œuvre de la déclaration de Malabo pourront alors être évalués indépendamment de ces chocs. Ce qui permettra d’éviter les erreurs en garantissant que les effets de la COVID-19 sur les résultats des RB ne seront pas attribués à tort aux actions entreprises par les pays pour mettre en œuvre la déclaration de Malabo. En général, l’amélioration de la qualité des données améliorera la signification statistique et la fiabilité des relations estimées entre les résultats et les politiques, entre les investissements et le comportement des acteurs du système agroalimentaire. Les liens entre les politiques/investissements et les résultats des RB seront ainsi renforcés et les décideurs politiques pourront être sûrs qu’en adoptant les politiques et les investissements conduisant à des résultats souhaitables ils garantiront également des scores plus élevés lors de la RB.
La réduction de l’impact des années « aberrantes » sur les résultats de la RB peut également inspirer confiance dans le processus. Il existe au moins deux approches permettant de réviser et de renforcer la méthodologie de l’AATS pour les années affectées par des chocs externes tels que la COVID-19 ou par des valeurs de données anormalement élevées ou anormalement faibles qui ne sont liées ni au processus de RB et ni aux actions politiques et changements de comportement sous-jacents. La première utiliserait les données et les références de l’année précédente pour calculer les scores. Pour la RB de 2022, la dernière année de référence pour les données serait 2019 et le point de référence serait 7,16 au lieu de 7,66 (point de référence pour l’année de référence 2020) (voir Figure 1). L’inconvénient de cette approche est qu’elle n’ajoute qu’une seule année de données, ce qui ne suffit pas toujours pour montrer un changement significatif. La seconde option utiliserait tous les points de données de 2015 à l’année la plus récente pour estimer les indicateurs et calculer les scores. Cette approche est déjà appliquée pour certains des indicateurs (par exemple, 2.1i à 2.1iii sur les investissements publics et privés), où la valeur moyenne de 2015 à la dernière année de données est utilisée. Pour de nombreux autres indicateurs qui sont mesurés en tant que taux de croissance, seuls les points de données de 2015 et de la dernière année sont utilisés, ce qui rend ces indicateurs plus sujets à l’effet de valeurs aberrantes. L’utilisation de tous les points de données de 2015 à la dernière année pour l’estimation des indicateurs est bonne même pour les années qui semblent normales au niveau mondial mais qui peuvent être anormales pour certains pays ou même certains indicateurs dans le même pays. L’effet de ces approches sur les résultats de la RB peut être analysé en refaisant les calculs pour la RB 2020 et en examinant en quoi les résultats recalculés diffèrent de ceux qui ont déjà été publiés. Avec la première approche, par exemple, la dernière année de données à utiliser sera 2017 au lieu de 2018 et le point de référence correspondant sera 5,33 au lieu de 6,66 (voir Figure 1).
En conclusion, le ralentissement des progrès réalisés par les pays africains dans la mise en œuvre de la déclaration de Malabo tel qu’il est observé dans les résultats de la RB 2020 sera probablement aggravé dans la prochaine RB 2022 par la pandémie mondiale de COVID-19. En effet, les données de la RB de 2022 seront mesurées en 2020, date à laquelle de nombreux indicateurs de la RB pourraient être négativement affectés par le ralentissement économique lié à la COVID-19. Des données de meilleure qualité pour isoler et analyser de manière fiable l’effet de la COVID-19 sur les objectifs de Malabo et une méthodologie de l’AATS plus robuste pour les années affectées par des chocs externes peuvent contribuer à éviter les erreurs par rapport au processus des RB. Ainsi, les effets de la COVID-19 ne seront pas attribués à tort à l’action ou à l’inaction des pays dans la mise en œuvre de la déclaration de Malabo.
Samuel Benin est Chercheur Senior et Directeur par intérim du Bureau régional pour l'Afrique à l'Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI)
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