Relancer les systèmes alimentaires urbains dans les économies africaines grâce aux technologies numériques

RELANCER LES SYSTèMES ALIMENTAIRES URBAINS DANS LES éCONOMIES AFRICAINES GRâCE AUX TECHNOLOGIES NUMéRIQUES

by IFPRI | 11 May 2020

Dr. Debisi Araba, Directeur General de African Green Revolution Forum (AGRF) et membre du Panel Malabo Montpellier, explique comment l'adaptation des outils numériques existants peut aider à renforcer les systèmes alimentaires africains au milieu de la crise de Covid-19.

Le débat sur la pandémie de coronavirus a été alimenté par d’éminents scientifiques et leaders dopinion. On a parlé, entre autres théories, d’un « évènement cygne noir » – qui a été planifié  et qui était prévisible – en référence à une conférence TED talk de 2015  sur la prochaine épidémie présentée par Bill Gates.

Le confinement initié par les gouvernements en réponse à la pandémie de coronavirus menace de compromettre les systèmes de production, de distribution et de consommation daliments sains et nutritifsentraînant une crise de famine et de malnutrition voire, dans les cas extrêmes, des cas de décèsJe propose ici quelques idées pour relancer les systèmes alimentaires dans les zones urbaines dAfrique en tirant parti des outils numériques existants. 

Avec un ralentissement de la quasi-totalité des activités économiques mondiales, cette crise émergente a engendré un blocage des systèmes alimentaires à plusieurs niveaux : contraction de la demande, ralentissement de la productivité, rupture des chaînes de l’offre, augmentation des pertes post-récolte, ralentissement des flux financiers, manque de couverture dassurance et faiblesse des systèmes de protection sociale. Il sagit dun test de résistance financier sans précédent. 

L’un des impacts immédiats d’un scénario de confinement prolongé sur les systèmes alimentaires pourrait être la rupture de la chaîne de l’offre en denrées alimentaires entre les centres de production et les centres de consommation. Les groupes d’aliments à courte durée de conservation – les produits frais (légumes et fruits), les œufs et le lait frais – sont plus susceptibles d’être touchés par ce phénomène. Le ralentissement des activités économiques va entraîner une baisse de la consommation de certains aliments en raison de la réduction de la demande et du manque d’accès à travers les systèmes de marché formels. 

Les ménages urbains pourraient alors souffrir d’un manque d’accès à une alimentation saine et nutritive. La restriction des choix alimentaires et la rareté des aliments hautement périssables et plus nutritifs aboutiraient à une augmentation des taux de famine, de malnutrition et, dans les cas extrêmes, de mortalité. En outre, les ménages pourraient avoir recours à des sources de préparation alimentaire dangereuses et malsaines, ce qui pourrait entraîner une augmentation des cas de maladies transmissibles comme le choléra, la dysenterie, etc. ; ce scenario générant par la suite une pression accrue sur des services de santé déjà fragiles. 

Dans les grandes villes confinées, comme dans les États de Lagos et d’Ogun au Nigeria, l’objectif premier devrait être de veiller à ce que les populations aient accès à des produits alimentaires salubres, sains et nutritifs, tout en préservant les systèmes de marché, en évitant les pertes d’emploi, en accélérant l’inclusion financière et en améliorant l’efficacité des interventions du secteur public. 

Une des options possibles consiste à activer un système de paiement mobile rapide pour toute personne possédant un téléphone portable enregistré. Il est également possible de synchroniser le mode de paiement mobile avec le numéro de vérification bancaire (BVN), créant ainsi des identifiants uniques pouvant être suivis avec des outils numériques. 

Dans cette optique, le gouvernement pourrait encourager les ouvertures de comptes volontaires auprès des fournisseurs de services de transfert d’argent mobile pendant la courte durée de cette fenêtre de réponse. Au cours de ce processus, chacun aura la possibilité de contacter le fournisseur de services de son choix, ce qui réduira les risques de partialité et garantira à la plupart des foyers au moins un compte d’argent mobile. Le gouvernement pourra alors effectuer des transferts d’argent aux ménages (après avoir mis au point un système de vérification de la taille des ménages, du nombre de personnes vulnérables, y compris les femmes en période pré- et post-natale, les personnes âgées et les jeunes enfants) en utilisant des informations secondaires provenant des données satellites, des tours de télécommunication, du recensement national, de la base de données d’inscription des électeurs, etc. 

Cette option suppose que le gouvernement n’interviendra pas sur le marché formel et permettra aux ménages d’utiliser les transferts en espèces pour acheter les articles essentiels de leur choix, tout en restant chez eux. 

Les gouvernements pourraient également considérer une autre option consistant à maintenir les marchés formels et à cartographier les points de vente au détail de produits alimentaires afin d’en désigner certains comme des « cuisines publiques ». Ces points de vente peuvent être sélectionnés en fonction de leurs normes d’hygiène et de sécurité ou en fonction du volume et de la capacité de production. Les populations pourraient alors être affectées à un point de vente situé à proximité de leur lieu de résidence. Les ménages recevraient des bons électroniques pour acheter quotidiennement des produits alimentaires frais et cuisinés. Cela permettrait d’atténuer les problèmes liés au manque daccès à leau et à lénergie propres et sûres dans les ménages. Les « cuisines publiques » fonctionneraient sur une base régulière et le système de bons électroniques contribuerait à assurer la pérennité de la micro-économie de ces communautés, tout en créant des incitations commerciales pour que les chaînes alimentaires continuent à fonctionner. Les organisations de la société civile pourraient être encouragées à les soutenir, ce qui pourrait, à moyen ou long terme, évoluer vers des structures formelles de services sociaux pour lutter contre la malnutrition et la faim en milieu urbain. 

Ces propositions concernent principalement l’exploitation des systèmes de marché existants pour une intervention à court terme. L’objectif étant de : préserver l’alimentation des populations urbaines en leur donnant accès à des produits abordables, sûrs, sains et nutritifs ; maintenir l’emploi et le travail des acteurs du système alimentaire ; poursuivre le fonctionnement de la distribution et des chaînes de l’offre et ; assister les populations vulnérables qui n’ont pas accès aux produits alimentaires.  

Le Panel Malabo Montpellier, dont je suis membre, a lancé l’année dernière un rapport sur les innovations politiques visant à transformer les systèmes alimentaires en Afrique grâce aux technologies numériques. Je suis convaincu que nous disposons déjà des éléments essentiels permettant de tirer parti des technologies existantes pour relever le défi immédiat et à long terme du développement des économies africainesLe moment est venu de créer des moyens innovants pour le déploiement et la mise en pratique de ces technologies numériques, tout en les intégrant dans la structure existante.   

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