Par Sokhna Sall Seck
L'autonomisation des femmes et des jeunes filles ainsi que la reconnaissance et le respect de leurs droits sont essentiels pour parvenir à des systèmes alimentaires mondiaux sûrs, durables et équitables. Le 23 novembre 2020, un pré-événement virtuel en vue du Sommet des Nations unies sur les systèmes alimentaires, co-organisé par l’IFPRI et le Forum économique mondial sur le thème « Mettre en place des systèmes alimentaires équitables pour les hommes et les femmes », a permis d'explorer les moyens de promouvoir l'égalité des genres et l'autonomisation des femmes dans les systèmes alimentaires. La rencontre a permis d'identifier ce qui fonctionne et d'aborder certaines des priorités clés pour la transformation des systèmes alimentaires qui conduit également à l'égalité des genres.
Le Dr Jemimah Njuki, Directrice Afrique à l'IFPRI et Responsable du levier de changement sur l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes du Sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires 2021, entamant la discussion, a montré l'importance de la place des femmes dans les systèmes alimentaires en soulignant que « si l'égalité hommes-femmes et les systèmes alimentaires se renforcent mutuellement, l'égalité hommes-femmes demeure néanmoins un enjeu majeur dans plusieurs régions et qu'il y a urgence à éliminer les disparités actuelles entre les sexes et à transformer certains principes fondamentaux de l'égalité hommes-femmes ».
Les femmes et les jeunes filles sont confrontées à de nombreux obstacles en raison de leur accès très limité aux droits fonciers et de propriété, et « ces inégalités n'affectent pas seulement les femmes, mais également la sécurité alimentaire et la nutrition des ménages », a déclaré Jemimah. Et de poursuivre, « les femmes et les filles contribuent à la transformation des systèmes alimentaires, mais elles devraient aussi avoir accès aux avantages et se sentir autonomes pour une transformation inclusive des systèmes alimentaires ». Elle plaide en faveur d'une action multipartite pour une transformation des systèmes alimentaires qui ne soit pas seulement durable, mais aussi équitable et inclusive.
Après l'introduction de Jemimah, les intervenants ont partagé leurs expériences sur l'égalité des genres et l'autonomisation des femmes à travers le monde.
Mme Reema Nanavaty, Directrice exécutive de SEWA (Self Employed Women's Association [Association des travailleuses indépendantes]) est intervenue sur les effets néfastes de la pandémie de COVID 19 et du confinement sur les femmes et les systèmes alimentaires en Inde. D’après elle, une étude interne menée par son association a révélé que la COVID 19 a plongé les femmes dans une situation d'insécurité alimentaire caractérisée par une baisse quantitative de la nourriture et des revenus des ménages, un fort taux d'abandon scolaire chez les jeunes filles et une hausse de la violence et des atteintes subies par les femmes et les jeunes filles de la part des hommes (environ 25 % des ménages).
Elle estime toutefois que ces difficultés n'ont pas empêché les femmes de se prendre en charge, de faire des efforts pour subvenir elles-mêmes à leurs besoins tout en jouant un rôle actif dans le secteur agricole. Ainsi, certaines d'entre elles utilisent les technologies numériques pour vendre et livrer des fruits et légumes au porte-à-porte. Pour leur venir en aide, « SEWA a mis en place un système d'approvisionnement en fruits et légumes directement auprès des agriculteurs. Au total, 45 000 vendeurs et producteurs de légumes ont maintenant lancé leurs propres entreprises électroniques », a déclaré Reema.
Pour parvenir à l'égalité des genres dans le processus de transformation des systèmes alimentaires dans ce contexte de crise sanitaire mondiale liée à la COVID-19, le leadership des femmes et leur pleine participation sont essentiels et des plus nécessaires. En effet, « les femmes jouent un rôle important dans le secteur agricole, notamment dans la sécurité alimentaire et la nutrition des ménages comme productrices de denrées alimentaires, exploitantes agricoles, transformatrices, commerçantes, salariées et entrepreneurs », a déclaré Susan Kaaria, Fonctionnaire principal, Genre et Autonomisation de la femme à l’Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO). Et d'ajouter, « Pour ces raisons, l'égalité des genres et l'autonomisation des femmes sont au cœur des efforts de la FAO pour éradiquer la faim et la pauvreté. Dans cette optique, la FAO et ses partenaires poursuivent leurs efforts de développement et de promotion de la mise en œuvre de Directives volontaires sur l'égalité hommes-femmes et l'autonomisation des femmes dont les recommandations et les orientations peuvent être utilisées par les gouvernements et d'autres partenaires de développement pour élaborer des stratégies, des politiques, des lois et des programmes ».
CARE USA joue également un rôle important dans certains pays africains où son action consiste à « aller au-delà de l'autonomisation économique pour cibler des approches et des méthodologies visant à transformer les normes sociales discriminatoires tant dans les sphères formelles qu'informelles et dans les domaines de changement », a déclaré le Dr Maureen Miruka, Directrice Genre, Jeunesse et Moyens de subsistance, Systèmes d'alimentation et d'eau. Elle ajoute que pour améliorer l'égalité hommes-femmes dans les systèmes alimentaires, les hommes et les garçons doivent être impliqués car ils ont un rôle capital à jouer dans ce processus d'égalité des genres et d'autonomisation des femmes dans le secteur agricole et le système alimentaire. En effet, le rôle des hommes sera de rééquilibrer les rapports de force au sein du ménage et sur les réseaux sociaux, ainsi que dans la prise de décisions concernant l'accès à des ressources telles que la terre.
Le Dr Agnes Quisumbing, chercheur senior à l'IFPRI, indique aussi que « les femmes jouent déjà un rôle dans les systèmes alimentaires, à la fois comme consommatrices et comme responsables de la sécurité alimentaire et nutritionnelle de leur foyer ». Une telle participation des femmes dans les systèmes alimentaires doit être équitable et autonomisante, mais le sont-elles vraiment ? En réponse à cette interrogation, Agnes souligne que les chercheurs de l’IFPRI de utilisent un outil destiné à orienter la conception, la mise en œuvre et l'évaluation des programmes et des politiques, qui est le cadre « Atteindre-Bénéficier-Autonomiser ». Ce cadre a été élaboré en collaboration avec 13 projets de développement agricole pour trouver les méthodes efficaces d'autonomisation des femmes sur le terrain.
Le secteur privé joue également un rôle déterminant dans la promotion de l'autonomisation des femmes dans le secteur du commerce. En Amérique latine, PepsiCo Amérique latine, PepsiCo Inc, une entreprise agro-industrielle spécialisée dans les produits alimentaires et les boissons, accompagne les femmes sur le terrain en fournissant des denrées agricoles aux agriculteurs qui intègrent la dimension genre dans leur processus de production, a déclaré Mme Paula Santilli, Directrice générale de PepsiCo Amérique latine, PepsiCo Inc. En outre, la société appuie les femmes productrices en s'approvisionnant auprès d'elles sur une base préférentielle et en offrant des formations agricoles destinées à divers programmes.
La discussion s'est achevée sur les mesures audacieuses nécessaires pour autonomiser les femmes dans le processus de transformation des systèmes alimentaires. La création de mouvements sociaux dans le monde entier pour promouvoir les droits fonciers des femmes, le renforcement du leadership des femmes et de leur influence, l'implication des hommes dans la transformation des normes de genre et la reconnaissance du statut d'agriculteur des femmes sont autant de mesures audacieuses qui sont essentielles pour parvenir à l'égalité des genres dans les systèmes alimentaires.
« Ces mesures audacieuses marquent le début d'un long périple vers une vision de systèmes alimentaires équitables et la mobilisation de mesures visant à concrétiser cette vision », a conclu Jemimah.
Sokhna Sall Seck est spécialiste en communication à l'IFPRI Afrique.