La flambée des cours du cacao : Impacts divers et implications pour les principaux producteurs ouest-africains

LA FLAMBéE DES COURS DU CACAO : IMPACTS DIVERS ET IMPLICATIONS POUR LES PRINCIPAUX PRODUCTEURS OUEST-AFRICAINS

by ssseck | 6 June 2024

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Blog de l’IFPRI : Publication thématique

Auteur : MARTIN PAUL JR. TABE-OJONG, ONASIS THARCISSE ADETUMI GUEDEGBE ET JOSEPH GLAUBER

EN ACCÈS LIBRE | CC-BY-4.0

Les cours des fèves de cacao ont augmenté depuis le dernier trimestre 2023, atteignant un niveau record de 10,97 dollars par kilogramme le 19 avril (figure 1). L’envolée des cours est due à une baisse significative de la production de fèves par les principaux fournisseurs du marché international – quatre pays producteurs majeurs d’Afrique occidentale et centrale assurent plus de 60 % de l’approvisionnement du marché mondial en fèves de cacao : La Côte d’Ivoire (avec 38 % de la production mondiale en 2022), le Ghana (19 %), le Nigeria (5 %) et le Cameroun (5 %).1

La flambée actuelle des prix a été le fait des effets conjugués du changement climatique et du phénomène El Niño, qui ont été à l’origine de l’irrégularité des précipitations et de la hausse des températures dans les régions productrices de cacao, favorisant la prolifération des ravageurs et des maladies du cacaoyer, comme la pourriture brune des cabosses et le swollen shoot (CSSVD). Collectivement, ces chocs climatiques ont considérablement réduit les rendements.

Figure 1

Les problèmes structurels tels que le vieillissement des cacaoyers sont une autre source de pénurie. En général, ils font l’objet de peu d’investissements ou de gestion à long terme de la part des agriculteurs. Dans de nombreuses régions productrices de cacao, les activités de replantation sont très limitées, du fait que les producteurs sont pris dans l’engrenage de la faiblesse des revenus, car ne recevant qu’une petite portion de la forte valeur des produits à base de cacao. Un autre facteur limitant l’offre de fèves de cacao au Ghana est la réorientation de l’utilisation des terres vers l’exploitation artisanale de l’or et d’autres minerais. La réalité des faits indique de plus en plus clairement que les agriculteurs louent leurs champs de cacao pour des activités minières à petite échelle, qui entrent en concurrence avec la production de cacao en ce qui concerne la terre et la main-d’œuvre.

Que signifie la hausse des prix pour les petits exploitants ?

La flambée des prix du cacao a des conséquences hétérogènes sur les petits exploitants des quatre principaux pays producteurs, car la transmission des prix fixés au niveau international aux agriculteurs est déterminée par différents degrés de régulation des prix : La Côte d’Ivoire et le Ghana appliquent des systèmes de fixation des prix, tandis que le marché est libéralisé au Cameroun et au Nigeria.

En raison de la réglementation relative à la fixation des prix, les agriculteurs de Côte d’Ivoire et du Ghana n’ont pas tiré profit de cette situation, compte tenu de la hausse des prix et de la baisse des rendements. Les agriculteurs ivoiriens ont menacé de faire grève pour exprimer leur désaccord ; en avril, le président Alassane Ouattara a annoncé une augmentation de 50 % du prix à la production. Le Ghana a suivi peu de temps après avec une hausse de prix similaire. Le contrôle des prix est certes censé protéger les producteurs de la forte baisse des cours mondiaux, mais les agriculteurs ne perçoivent probablement pas cet avantage dans la situation actuelle, notamment en raison de l’existence d’activités plus rentables, telles que l’exploitation minière illégale, et de la baisse des niveaux de production de fèves de cacao.

En revanche, les agriculteurs du Cameroun et du Nigeria bénéficient de prix élevés et sont généralement satisfaits de la production de cacao. Cette situation est due à la libéralisation du marché dans ces pays, où les prix fluctuent en fonction des conditions du marché international. Les agriculteurs vendent leurs fèves de cacao à des usines de transformation locales ou à des sociétés de négoce de matières premières, qui exportent ensuite les cabosses vers des pays de l’Union européenne comme les Pays-Bas, l’Allemagne, la France et la Belgique, ainsi que vers d’autres pays comme les États-Unis, la Malaisie et l’Indonésie.

La figure 2 illustrant l’exemple du Cameroun présente le prix au producteur de quelques grandes sociétés de négoce de matières premières, ainsi que les prix FOB (franco à bord) et CIF (coût, assurance et fret).

Figure 2

Au Cameroun, les prix au producteur ont augmenté presque quotidiennement ces derniers mois – ils ont triplé depuis septembre 2023 – en raison des réductions de l’offre de la Côte d’Ivoire et du Ghana. Le ministre camerounais du Commerce a accueilli positivement ces avancées concernant les prix du cacao. Les prix CIF et FOB sont également élevés, ce qui implique que les principales sociétés de négoce de cacao enregistreront des bénéfices significatifs. Au 30 avril, les agriculteurs camerounais recevaient un prix moyen au producteur d’environ 9,70 dollars par kilogramme de fèves de cacao.

Comment les gouvernements réagissent-ils ?

Après que de fortes pluies ont affecté les plantations de cacao en Côte d’Ivoire, le gouvernement a rapidement interrompu la vente de contrats d’exportation de cacao pour la saison 2023/2024. Ce moratoire a non seulement porté un coup aux réserves de change, mais aussi perturbé l’activité des principales sociétés de négoce de cacao telles que Cargill, Barry Callebaut, Nestlé et Hershey.

Puis, au milieu de la grogne des agriculteurs, le président a publié son décret du 2 avril, augmentant les prix au producteur de 50 % – qui sont passés de 1 000 FCFA/kg (1,71 $/kg) à 1 500 FCFA/kg (2,57 $/kg) – au 2 avril. Au Ghana, au 5 avril, le gouvernement a augmenté les prix au producteur de 58,26 %, qui passent de 20,93 GH¢/kg (4,70 $/kg) à 33,12 GH¢/kg (7,61 $/kg) pour le reste de la saison cacaoyère 2023/2024.

Perspectives et étapes à venir

Le Ghana Cocoa Board a lancé une initiative de réhabilitation des plantations de cacao infestées par le CSSVD dans le cadre du Tree Crops Development Project, un projet de 227,50 millions de dollars (dont 200 millions sont financés par la Banque mondiale) qui couvre également les chaînes de valeur de l’anacarde, de la noix de coco et du caoutchouc. Cependant, le projet de réhabilitation ne devrait pas augmenter les rendements à court terme, il faudrait deux à quatre ans avant que les arbres replantés puissent arriver à maturité et produire des fèves.

Les mesures à court terme visant à accroître la production de cacao en dépit des chocs météorologiques, des ravageurs et maladies des cultures retenues sont les pratiques agricoles adaptées au changement climatique (CSA) telles que l’utilisation d’ombrières (arbres d’ombrage), l’irrigation, la diversification des cultures et les plants résilients aux effets du changement climatique. La CSA offre un triple avantage : l’augmentation de la productivité agricole, la réduction des émissions de gaz à effet de serre et le renforcement de la résilience au changement climatique. Ces pratiques, déjà largement utilisées par les agriculteurs de la région favorisent une hausse potentielle significative de productivité et de revenus tirés des moyens de subsistance. Par exemple, la diversification des cultures, qui prend la forme de l’agroforesterie augmente les revenus tirés des moyens de subsistance et le bien-être des petits exploitants tout en améliorant la sécurité alimentaire et nutritionnelle grâce aux cultures vivrières.

Ironiquement, cette flambée des prix a coïncidé avec la conférence mondiale sur le cacao, qui s’est tenue du 21 au 24 avril à Bruxelles sur le thème « Payer plus pour un cacao durable ». Elle s’inscrit également dans le cadre de la mise en œuvre du règlement de l’UE sur les produits sans impact sur la déforestation (EUDR), qui interdit le commerce de produits provenant de terres récemment déboisées ou dégradées. L’EUDR est entré en vigueur en juin 2023 et s’appliquera aux sociétés de négoce de matières premières qui entretiennent des relations commerciales avec l’UE en décembre 2024. Étant donné que la majeure partie du cacao ouest-africain est destinée à l’UE, ces pays devront mettre en place, après décembre 2020, des systèmes transparents et traçables afin de prouver que les fèves de cacao qu’ils exportent ne sont pas liées à la déforestation.

Martin Paul Jr. Tabe-Ojong est un jeune économiste professionnel à l’Unité Agriculture and Food Global Practice du Groupe de la Banque mondiale et un ancien chercheur associé à l’IFPRI ; Onasis Tharcisse Adetumi Guedegbe est un agroéconomiste de l’Unité Agriculture and Food Global Practice du Groupe de la Banque mondiale, basé à Washington DC. Joseph Glauber est un chargé de recherche principal au sein de l’unité Marchés, commerce et institutions (MTI) de l’IFPRI. Les opinions sont celles des auteurs.

  1. Données de la FAO. Les données de 2022 sont celles les plus récentes disponibles. Consultées le 8 avril 2024.