« C’est la Vie ! » : Évaluation de l’impact d’une série éducative sénégalaise visant à influencer les résultats en matière de genre et de violence

« C’EST LA VIE ! » : ÉVALUATION DE L’IMPACT D’UNE SéRIE éDUCATIVE SéNéGALAISE VISANT à INFLUENCER LES RéSULTATS EN MATIèRE DE GENRE ET DE VIOLENCE

by ssseck | 2 December 2024

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« C’est la Vie ! » : Évaluation de l’impact d’une série éducative sénégalaise visant à influencer les résultats en matière de genre et de violence – IFPRI, Bureau régional pour l’Afrique (AFR)

AUTEUR : ÉQUIPE DE L’ÉTUDE D’ÉVALUATION D’IMPACT DE C’EST LA VIE !

EN ACCÈS LIBRE | CC-BY-4.0

« C’est grâce à la série que vous comprenez ce qui se passe dans la réalité. En regardant la série, les adolescents comprendront les problèmes qu’une jeune fille de 15 ans, mariée et enceinte peut rencontrer. Vous pouvez toujours leur parler, mais en regardant la série, les images, ils se rendront compte que c’est réel et ils feront attention. Même les femmes qui n’ont pas encore d’enfants, comme moi, comprendront comment se déroule un accouchement et en tireront des leçons pour le futur » ~ Femme mariée, Kolda

Tout le monde aime les bonnes séries télévisées, celles qui captivent, suscitent des émotions fortes, vous font réfléchir sur votre vie et vous laissent sur votre faim. L’utilisation du pouvoir des médias pour éduquer est la spécificité de l’approche « de divertissement éducatif pour le développement », qui consiste à intégrer divers messages poussant au changement de comportement dans des pièces de théâtre destinées à des publics ciblés, par le biais de la télévision, de la radio et des médias sociaux. Les spécialistes des sciences sociales ont réalisé de plus en plus d’études sur la manière dont l’approche de divertissement éducatif peut être utilisée pour améliorer les résultats en matière de genre et de santé en Afrique, notamment dans l’élaboration de programmes visant à lutter contre le VIH et la pratique de rapports sexuels à risque au Nigeria, les mariages précoces et les mariages forcés en Tanzanie, et la violence à l’égard des femmes en Égypte. Évaluer l’efficacité de l’approche de divertissement éducatif et comprendre ses mécanismes et identifier sa cible peut contribuer à l’amélioration des résultats globaux en matière de développement, tout en contribuant au divertissement et à la qualité de vie des spectateurs.

En 2019, nous nous sommes lancés dans une évaluation par des méthodes mixtes d’une série télévisée populaire d’Afrique de l’Ouest, C’est la Vie !, conçue autour des thèmes du genre et de la santé et des droits des femmes. La série traite de la vie quotidienne dans une clinique spécialisée en santé maternelle au Sénégal et est conçue et produite par l’organisation non gouvernementale (ONG) sénégalaise Réseau africain pour l’éducation à la santé (RAES – Réseau africain pour l’éducation à la santé). L’étude a cherché à savoir si le visionnage de la série améliorait les connaissances, les attitudes et les comportements des adolescentes et des jeunes femmes en ce qui concerne la violence à l’égard des femmes et des filles (VEF) et la santé sexuelle et reproductive (SSR) dans les zones rurales. Dans ce billet, nous résumons les résultats à retenir, les défis à relever et les prochaines orientations du programme de recherche sur le genre et l’approche de divertissement éducatif.

PROMO REEL - C’est la vie! - Saison 1 de Keewu Production

Conception de l’étude et adaptations à la pandémie de COVID-19 

Dans le cadre d’un essai randomisé contrôlé, 120 villages de deux régions du Sénégal (Kaolack et Kolda) ont été choisis de manière aléatoire pour recevoir soit 1) la saison 1 de C’est la Vie ! projetée via des ciné-clubs (CLV), 2) la saison 1 de C’est la Vie ! projetée via des ciné-clubs, accompagnée de kits pédagogiques consistant en des séances de discussions et des ateliers après la projection (CLV+kits) ; et 3) une série placebo, Golden, projetée via des ciné-clubs (témoin).

Les ciné-clubs, organisés par l’ONG MobiCiné, consistaient en des séances de groupe bihebdomadaires d’environ 75 minutes, permettant de visionner trois épisodes en une seule séance. Les adolescentes et les jeunes femmes âgées de 14 à 34 ans ont été invitées à assister aux projections et ont été conviées à venir acompagnées ; une « incitation subtile » attribuée de manière aléatoire a encouragé les participants à amener un invité masculin ou féminin afin de tester explicitement l’effet de la participation des hommes et des garçons sur les résultats. Étant donné que les hommes jouent un rôle essentiel dans la détermination de nombreux résultats en matière de santé sexuelle et reproductive et de violence à l’égard des femmes, il pourrait être important de les faire participer pour amorcer le dialogue et éventuellement changer et renforcer les attitudes et les comportements.

L’enquête de référence de l’étude a été menée en fin 2019, les ciné-clubs ayant débuté en décembre 2019 (figure 1). Pour saisir la qualité de la mise en œuvre et l’adhésion à la conception de l’étude, nous avons mis en œuvre une évaluation du processus au début du mois de mars 2020. Le 23 mars, le gouvernement du Sénégal a déclaré l’état d’urgence en raison de la pandémie de COVID-19, forçant la fermeture des ciné-clubs. La mise en œuvre était à mi-parcours (environ 4,5 séances sur les neuf prévues avaient été projetées). Nous avons réalisé une enquête téléphonique à mi-parcours (trois mois après le démarrage des ciné-clubs) pour mesurer l’impact à court terme de la série C’est la Vie ! Afin de continuer à toucher les femmes avec un contenu thématique pendant les périodes de distanciation sociale, nous avons remplacé la diffusion de la série C’est la Vie ! par des podcasts audios diffusés via un téléphone portable. Pour nous assurer que nous pourrions encore tirer des enseignements du passage aux podcasts, nous avons distribué les podcasts à 60 % des villages de chaque groupe expérimental, pris au hasard (tandis que pour les 40 % restants, l’intervention a effectivement pris fin au début de la pandémie). Enfin, nous avons réalisé une enquête finale en présence physique, environ neuf mois après la fermeture des ciné-clubs, soit environ un an après l’enquête de référence.

Figure 1

Source : IFPRI

Principaux enseignements : Mise en œuvre et impacts

  • Les ciné-clubs ont connu un grand succès, avec un taux d’adhésion et de fréquentation élevé : Dans l’ensemble, près de 90 % des filles et des femmes ciblées (invitées) ont participé aux ciné-clubs, assistant en moyenne à 64 % des séances. Les participantes ont massivement déclaré avoir adoré la série C’est la Vie ! et ne pas vouloir que les ciné-clubs s’arrêtent. Elles ont appris de nouvelles choses, la série leur a ouvert les yeux à la vie en dehors de leur communauté et elles ont discuté de ce qu’elles ont appris et vu avec leurs familles et leurs amis. Dans le cadre d’une évaluation complémentaire du processus, nous évaluons en outre la mise en œuvre (adaptation et fidélité de l’intervention), ainsi que la réactivité et l’engagement des participants, et l’adéquation de la série à la population cible, avec la conclusion générale que l’approche de divertissement éducatif offre des perspectives prometteuses pour atteindre et impliquer les populations rurales conservatrices.
  • Les impacts à court et moyen terme sur les connaissances et les attitudes ont été prometteurs. Cependant l’impact observé sur les comportements a été faible : À court terme, environ trois mois après la fin des activités du ciné-club, nous avons constaté des impacts encourageants sur les connaissances en matière de violence à l’égard des femmes et des filles et de santé sexuelle et reproductive. Les impacts sur les connaissances globales en matière de lutte contre la violence à l’égard des femmes et des filles sont importants (écart-type de 0,281), grâce à l’élargissement des connaissances sur les conséquences néfastes du mariage précoce, des mutilations génitales féminines (MGF) et de la violence exercée par le partenaire intime (VPI). Les impacts sur les connaissances en matière de santé sexuelle et reproductive sont plus faibles, mais significatifs (écart-type de 0,174), grâce à la connaissance des contraceptifs modernes et des méthodes de transmission et de prévention du VIH. À moyen terme, neuf mois après la fin des ciné-clubs, ces impacts sur les connaissances se sont estompés. Cependant, nous constatons des améliorations significatives des attitudes et des normes relatives à la violence liée au sexe (écart-type de 0,128) à moyen terme, grâce aux mêmes facteurs cités ci-dessus, en plus des normes de rejet de la violence sexuelle. Bien que nous ayons observé des améliorations significatives d’un indicateur individuel des comportements liés à la violence à l’égard des femmes et des filles – taux de mutilations génitales féminines parmi les filles du groupe cible – les impacts globaux sur les comportements liés à la violence à l’égard des femmes et des filles et sur la santé sexuelle et reproductive sont nuls. Ces résultats soulignent l’importance de mesurer l’évolution des impacts dans le temps, ainsi que les difficultés à changer les comportements.

« Le ciné-club a changé le point de vue des femmes sur le mariage précoce, parce que j’ai entendu ma femme dire que l’âge minimum pour donner notre fille en mariage est de 18 ans et [maintenant] elle va plus loin en disant qu’elle ne donnera pas notre fille en mariage avant 20 ans et je suis en phase avec elle et prêt à la soutenir dans sa vision » ~ Participant à un groupe de discussion thématique, Kaolack

  • L’impact supplémentaire de l’ajout de kits pédagogiques a été peu significatif : D’un résultat à l’autre et d’une vague d’enquête à l’autre, nous constatons peu de différences significatives liées à l’ajout du kit pédagogique, peut-être parce que les participants discutaient déjà largement des thèmes et du contenu de la série en dehors des ciné-clubs, ou parce que les kits ont apporté peu d’informations supplémentaires par rapport à celles qui ont déjà été véhiculées à travers la série. En outre, le contenu et l’étendue de la mise en œuvre des kits ont été restreints pour adapter l’expérience aux difficultés d’exécution dans les zones rurales – il est donc possible que les impacts aient été plus importants avec une mise en œuvre plus rapprochée ou plus approfondie des kits.
  • La participation des hommes et des garçons a eu un impact positif potentiel sur les résultats en matière de santé sexuelle et reproductive, mais pas en matière de violence à l’égard des femmes et des filles : Nous avons constaté que les gains de connaissances en matière de santé sexuelle et reproductive parmi les femmes et les filles ciblées étaient jusqu’à deux fois plus importants dans le groupe qui avait reçu une incitation subtile à venir avec un invité que dans le groupe pour lequel l’incitation subtile consistait à venir avec une invitée – cependant, nous n’avons pas constaté d’autres impacts différentiels. Ainsi, les efforts déployés pour faire participer les hommes et les garçons par le biais d’invitations n’ont pas suffi à modifier la plupart des résultats. Les données de suivi montrent qu’environ la moitié des participants du groupe qui a reçu l’incitation subtile d’inviter un homme ont réussi au moins une fois à faire venir leur invité, ce qui a été à l’origine de la participation de la quasi-totalité des hommes aux sessions. Cependant, même lorsque les hommes et les garçons ont participé, ils constituaient une minorité et il était peu probable qu’ils reviennent pour les sessions suivantes.
  • L’évaluation du processus révèle que les participants pensaient que les ciné-clubs étaient « pour les femmes » et que la série traitait de « problèmes de femmes ». Ces résultats suggèrent que davantage d’efforts pour faire participer les hommes et les garçons, notamment concevoir un contenu ciblant les hommes et les garçons pourraient être nécessaires pour obtenir un changement de comportement plus important.
  • L’extension de la portée de l’intervention dans la période de la pandémie de COVID-19 par l’utilisation de podcasts a échoué : Malgré les efforts déployés pour changer l’orientation de la mise en œuvre pendant la pandémie, l’utilisation des podcasts a connu des difficultés, avec des taux de participation inférieurs à ceux des ciné-clubs, peut-être en raison de problèmes d’accès et de connectivité. En outre, il est possible que les podcasts soient tout simplement moins divertissants que les réunions entre amis et en famille pour regarder la série sur grand écran. Il n’est peut-être pas surprenant que nous n’ayons constaté aucun impact supplémentaire lié à l’extension de la portée de l’intervention, en utilisant les podcasts, sur les connaissances, les attitudes ou les comportements, ce qui témoigne des difficultés liées à l’administration à distance des activités de divertissement éducatif et du rôle de l’engagement et des interactions des communautés dans la promotion des impacts.

« Le cinéma résout de nombreux conflits au sein de la communauté. L’amitié entre les femmes s’est grandement renforcée grâce au ciné-club. Je n’ai jamais eu de bonnes relations avec mon voisin de table. Mais grâce au cinéma, nous sommes devenues amies » ~ Participante à une discussion de groupe thématique, Kolda

  • Le fait de « transporter » les spectateurs était un aspect important pour les impacts : Nous avons constaté que les impacts les plus significatifs ont été enregistrés chez les adolescentes et les femmes qui ont été le plus « transportées » (émotionnellement touchées) par la série, ce qui suggère que le pouvoir de l’approche de divertissement éducatif réside dans sa capacité à toucher émotionnellement les spectateurs dans l’intrigue. Ce constat souligne l’importance de la phase de production dans la création d’un contenu qui absorbera et captivera les téléspectateurs.

Bien que notre essai ait connu un succès mitigé, les impacts à court et moyen terme sur les connaissances et les attitudes en matière de violence à l’égard des femmes et des filles indiquent un potentiel de changement de comportement plus large. Les impacts sont prometteurs, car seule la moitié du contenu prévu a été diffusée en raison de la pandémie. En outre, la série C’est la Vie ! s’est démarquée des formes de divertissement éducatif évaluées dans d’autres études, car elle a abordé un large éventail de thèmes. Ainsi, le contenu d’une question donnée était moins directif et intensif que ce que l’on pourrait attendre d’une série thématique unique. Avec les progrès technologiques, le potentiel de l’approche de divertissement éducatif pour le développement prend de l’ampleur. Nous espérons en voir davantage sur la façon dont : a) les chercheurs peuvent travailler en étroite collaboration avec la communauté créative pour produire du contenu en phase avec les exigences de la recherche, b) diverses plateformes et liens avec les services peuvent être exploités pour fournir et soutenir l’approche de divertissement éducatif, et c) le contenu pour les questions de genre peut cibler les hommes et les faire participer, afin de faire bouger l’aiguille sur la violence, les masculinités et bien d’autres aspects. Restez à l’écoute !

L’équipe chargée de l’étude d’évaluation de l’impact de C’est la Vie ! est composée de Malick Dione (IFPRI Dakar), Jessica Heckert et Melissa Hidrobo (IFPRI), Agnes Le Port (IRD), Amber Peterman (UNC) et Moustapha Seye (LARTES, Université Cheikh Anta Diop). Ce billet est basé sur des recherches qui n’ont pas encore fait l’objet d’une évaluation par les pairs.

L’équipe tient à remercier les partenaires à la mise en œuvre, MobiCiné et le Réseau africain pour l’éducation à la santé (RAES) pour leurs observations utiles et leur collaboration à cette recherche. Nous remercions les partenaires de recherche, y compris les dynamiques équipes de terrain d’ASSMOR Consulting (évaluation de référence et évaluation finale) et du Laboratoire de recherche sur les transformations économiques et sociales (LARTES) (évaluation à mi-parcours), ainsi que les adolescentes et les femmes qui ont participé à notre enquête et ont partagé leur vécu pour cette analyse. Enfin, nous remercions le Programme de recherche du CGIAR sur les politiques, les institutions et les marchés (PIM) et un donateur anonyme pour le financement de ce travail.

Source @ifpri.org

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