Les banques de lait humain constituent une option prometteuse
pour lutter contre les taux de mortalité néonatale extrêmement élevés en Afrique subsaharienne
Auteur : Taddese Zerfu
Les taux de survie des enfants dans le monde ont augmenté depuis 1990 et le nombre de naissances en milieu hospitalier s’est accru. Cependant, les taux de mortalité néonatale ne se sont que peu améliorés. Entre 1990 – 2020, cette mesure a baissé à un rythme plus lent que celui de la mortalité post-néonatale pour les enfants de moins de 5 ans. Aussi, la quasi-totalité (99 %) des enfants décédés au cours des quatre premières semaines de vie se trouvait dans les régions les plus pauvres, les régions de l’Afrique subsaharienne et de l’Asie du Sud étant les plus touchées. En réalité, l’Afrique subsaharienne enregistre le taux de mortalité néonatale le plus élevé du monde, avec 27 décès pour 1000 naissances, soit 43 % de l’ensemble de la mortalité néonatale.
Le premier mois de la vie, en particulier la première semaine est la période la plus critique pour la survie. En 2020, 2,4 millions de nouveau-nés sont décédés dans le monde, dont 75 % au cours de la première semaine. La plupart des décès survenant dans les 28 premiers jours de la naissance sont dus à des problèmes de santé liés à l’insuffisance des soins pendant l’accouchement et dans les premières heures et également lors les premiers jours qui suivent. Les causes sont entre autres, la naissance prématurée, les complications à la naissance (comme l’asphyxie à la naissance, c’est-à-dire l’incapacité à respirer à la naissance), les infections et les malformations congénitales.
La nutrition est l’une des clés de la lutte contre la mortalité néonatale. Les nouveau-nés prématurés et de faible poids à la naissance sont désavantagés sur le plan nutritionnel : leurs besoins en nutriments sont plus importants que ceux des autres nouveau-nés, ils présentent une immaturité métabolique et gastro-intestinale, ainsi que d’autres problèmes connexes. Le lait humain est le meilleur choix pour les nourrir (il en va de même pour tous les nourrissons). Lorsque le lait maternel n’est pas disponible ou que son approvisionnement est limité, le lait de donneuses est la meilleure alternative. Malgré la perte de certains éléments nutritifs au cours de la pasteurisation, le lait de donneuses présente encore des avantages avérés par rapport au lait maternisé.
Les résultats de notre étude récente, réalisée à la maternité de Pumwani à Nairobi (Kenya) ont indiqué qu’une banque de lait humain et un programme de soutien à l’allaitement ont permis d’augmenter considérablement l’alimentation des nouveau-nés avec du lait humain et de réduire le nombre moyen de jours passés en soins néonataux.
L’amélioration des pratiques d’alimentation néonatale constitue un élément d’un ensemble plus large d’efforts visant à fournir une couverture élevée de soins maternels et néonataux spécialisés, pouvant améliorer la santé des nouveau-nés et prévenir la mortinatalité, accroissant ainsi les taux de survie. Il s’agit de soins prénataux de qualité, des soins spécialisés pendant l’accouchement, des soins postnataux pour la mère et le bébé, et des soins appropriés pour les nouveau-nés de petite taille et malades. Nos résultats suggèrent que l’extension des programmes de don de lait humain peut constituer une approche prometteuse pour lutter contre la mortalité néonatale élevée et inacceptable dans la région de l’Afrique subsaharienne, y compris au Kenya.
L’étude de la maternité de Pumwani
La maternité publique de Pumwani est le plus grand établissement de ce type au Kenya. Construite il y a près d’un siècle, elle est l’un des plus anciens établissements de santé d’Afrique. Comparé aux autres hôpitaux du pays, il traite le plus grand nombre de mères et de nouveau-nés gravement malades. En moyenne, Pumwani admet chaque mois 400 nouveau-nés gravement malades en provenance de Nairobi et de ses environs. L’hôpital propose également un service de soins maternels kangourou (KMC) bien organisé, qui constitue un élément essentiel du soutien à l’allaitement nécessaire pour sauver la vie des nouveau-nés gravement malades, ainsi que du lait humain provenant de donneuses. L’hôpital dessert principalement une population à faible revenu, en particulier les résidents des habitations spontanées de Nairobi, qui présentent les taux de morbidité et de mortalité néonatales les plus élevés du pays, ainsi que des taux très faibles d’allaitement maternel exclusif.
L’étude a combiné deux interventions majeures : la création d’une banque de lait humain et l’amélioration du soutien à l’allaitement pour les mères de nouveau-nés de petite taille et/ou malades. La banque de lait humain a été mise en place conformément aux directives nationales kenyanes en matière d’allaitement maternel, élaborées lors d’une phase précédente de ce projet, en s’inspirant de divers documents de référence répondant aux normes internationales. Le processus a été mené par le ministère de la Santé du comté de Nairobi et la maternité de Pumwani, avec le soutien technique et financier de l’organisation pour la santé à l’échelle mondiale PATH.
Au total, l’étude a concerné 239 nouveau-nés. Les données du groupe de pré-intervention de 123 nouveau-nés ont été collectées six mois avant la mise en place de la nouvelle banque de lait humain (BLH), tandis que les données post-intervention ont été recueillies auprès d’un nouveau groupe de 116 nouveau-nés, cinq mois après la mise en service de la structure. Les participants ont été suivis au cours de leur hospitalisation pour documenter les pratiques d’alimentation néonatale, la durée du séjour à l’hôpital et les résultats de l’intervention sur la santé néonatale. Les mêmes outils et méthodes que celles de la phase pré-intervention ont été utilisés pour collecter les données de post-intervention.
Des résultats prometteurs : Le pouvoir des banques de lait humain et du soutien à l’allaitement
Des milliers d’unités de lait humain ont été collectées auprès de mères allaitantes en bonne santé, volontaires. Ces mères avaient un surplus de lait et en ont fait gratuitement don. Dans certains cas, même les mères ayant un petit excédent de lait maternel ont fait un don lorsque leur bébé était admis dans un service de soins intensifs néonataux et ne pouvait pas être nourri par voie orale en raison d’une maladie.
Une analyse des données avant et après l’intervention a montré une augmentation significative de 54 % de la proportion de nouveau-nés nourris exclusivement au lait humain pendant leur séjour à l’hôpital, passant de 41,3 % avant l’intervention à 63,8 % après. De plus, l’utilisation du lait humain pour l’allaitement initial (à la place du lait maternisé ou d’autres types d’alimentation) a augmenté de 52 %, passant de 55 % avant l’intervention à 83,3 % après.
Fait encourageant, la durée moyenne du séjour au service néonatal a également diminué de manière significative, passant d’une moyenne de 1,8 jour avant l’intervention à 1,6 jour après celle-ci. Bien que certains indicateurs de résultats aient été modifiés avant et après l’intervention, les changements n’étaient pas statistiquement significatifs. Ces indicateurs sont entre autres, l’intolérance alimentaire, l’insuffisance pondérale à la naissance, la détresse respiratoire entraînant une perte de conscience et une asphyxie potentiellement mortelle, une infection bactérienne grave (septicémie néonatale) et une coloration jaune (jaunisse) chez les nouveau-nés hospitalisés.
Point de vue des parties prenantes
Il n’est pas surprenant de constater que le fait d’apporter un soutien supplémentaire aux nouveau-nés malades et vulnérables, qui ont un accès limité ou inexistant au lait humain à un stade critique de leur vie, conduirait à un taux plus élevé d’utilisation exclusive du lait humain. Ce résultat cadre avec les observations faites dans l’établissement, au cours de l’étude et avec les observations reçues de diverses parties prenantes, y compris les femmes et le personnel de santé. Ces parties prenantes ont systématiquement exprimé leur soutien actif à la mise en place de banques de lait humain et à la fourniture d’un soutien à l’allaitement. Le concept des banques de lait humain consiste à promouvoir l’allaitement maternel, à encourager le don de lait maternel et à utiliser le lait humain donné. Par conséquent, l’utilisation de lait humain de donneuses comme option d’alimentation initiale a été largement acceptée afin de garantir une alimentation à base de lait humain exclusif.
Implications pour le Kenya et d’autres pays d’Afrique subsaharienne
Le taux très élevé de mortalité néonatale en Afrique subsaharienne a conduit plusieurs gouvernements de la région à investir massivement dans la prévention des décès maternels et néonataux, en mettant particulièrement l’accent sur l’expansion des services proposés en établissement sanitaire. Le Kenya a lancé des initiatives visant à promouvoir l’utilisation de contraceptifs (afin de réduire le nombre de grossesses non désirées), à améliorer l’accès aux soins prénataux et à augmenter le nombre d’accouchements réalisés par un personnel qualifié. L’Éthiopie et d’autres pays d’Afrique subsaharienne ont mis en œuvre des stratégies comparables.
Outre le lourd fardeau de la mortalité néonatale, la région de l’Afrique subsaharienne n’est pas sur la bonne voie pour atteindre les objectifs de développement durable (ODD). L’objectif 3.2 des ODD vise à réduire le taux de mortalité néonatale à au moins 12 décès pour 1 000 naissances vivantes et à éliminer tous les décès d’enfants évitables à l’horizon 2030. En introduisant des interventions nouvelles et innovantes telles que les services de banque de lait humain, la région dispose d’une occasion unique de prendre en charge ce problème urgent et de réduire le taux élevé de mortalité néonatale.
Taddese Zerfu est chargé de recherche à l’Unité Stratégies de transformation et gouvernance, IFPRI